L’usage d’une mesure ancienne : l’empan

Lorsque le système métrique fut mis en place, non sans mal d’ailleurs, en 1793, sous la première République, puis corrigé en 1799, l’idée était d’unifier une multitude de mesures de distance qui avaient cours partout en France et à l’étranger. Chaque grande ville ayant ses propres mesures étalons, que les différents artisans utilisaient pour réaliser leurs ouvrages et pour commercer, il en résultait une immense complexité, qui devait se révéler source de problèmes lorsque des artisans de régions différentes étaient amenés à travailler ensemble.

Grâce à l’utilisation du tracé préparatoire de sa composition géométrique, à nouveau visible par endroits aujourd’hui en raison de l’usure de la couche picturale, le peintre du Châtel nous a laissé des indices qui permettent de retrouver l’étalon qu’il a utilisé pour dessiner la base de son décor.

Ainsi, on s’aperçoit que l’écartement de son compas été toujours le même lorsqu’il dessinait un médaillon ou un quadrilobe et que cet écartement correspond à une dimension connue pour être celle d’un empan, c’est-à-dire la largeur d’une main. Cet empan est parfois appelé pan, palme ou paume. Il existait plusieurs sortes d’empans, mais celui qui mesure environ 24,8 cm est bien connu et répandu dans les métiers du bâtiment depuis la fin de l’Antiquité.

Contrairement à une idée reçue, les artisans du Moyen Âge ne divisaient pas aléatoirement l’espace à chaque nouvelle œuvre pour parvenir à une unité de mesure empirique et non réutilisable, mais ils utilisaient au contraire des étalons très précis dont l’usage correspondait à des normes bien établies. C’est pourquoi l’empan de 24,8 cm (il s’agit d’un empan calculé sur un pied de 18 doigts) était la norme pour les ouvriers travaillant dans la construction et nécessitant un étalon pas trop grand pour leur ouvrage, comme dans le cas des menuisiers, verriers, peintres, etc.

Schéma montrant l’usage de l’empan par le peintre du Châtel

Le peintre de Theys a donc utilisé son étalon d’un empan et s’en est servi pour mesurer le côté d’un grand carré. Là encore, il a utilisé une technique bien connue dans les métiers de la construction qui consiste, pour tracer un carré et vérifier que ses angles sont bien droits, à choisir un côté de 7 unités. Ainsi, l’artisan sait que la diagonale devra mesurer à peu près 10 unités et dans notre cas que la demi-diagonale mesurera 5 unités. Il s’agit d’une application empirique du théorème de Pythagore : 72 + 72 = 98, donc la diagonale mesure √98 ≈ 9,89 ce qui est une bonne approximation de 10. Dans notre cas, la diagonale du grand carré mesurerait 245 cm au lieu de 248 cm, soit 3 cm d’écart.

Je remercie Olivier Reguin, chercheur associé au département d’histoire de l’Université du Québec à Montréal, spécialiste de métrologie, pour son aide et ses indications sur ce sujet complexe.